Julley!
Ou en etions-nous...Ah oui,
au retour de notre peregrination "fluviale" sur le Zanskar gele...La
premiere operation effectuee fut le sceau d'eau chaude sur le corps,
autrement dit la douche ladakhie. Un moment d'une etrange sauvagerie.
Imaginez un humanoide blanchatre, totalement nu, les pieds dans une
bassine en plastique rouge posee sur un trou beant en porcelaine (mode
turque!), et qui tente de s'asperger d'eau chaude dans la demi
obscurite d'une salle de bain de terre sans electricite, baignee dans
une atmosphere de brouillard mysterieux...Voi-la! Et la cerise sur le
pancake: une individu en doudoune et bonnet qui aide au rincage des
cheveux de l'homme nu comme un ver! M'enfin le resultat est sans appel:
un bien-etre s'empare alors de nous et une somnolence de bonheur nous
plonge dans une lethargie bienfaitrice.
Amaley (Maman!) a finalement decale son retour
d'une semaine. Nous cuisinons ainsi pour Abaley (qui travaille comme un
fou dans sa petite epicerie jusqu'a 21h) de savoureux plats aux saveurs
franchouillardes: croque-monsieurs, nouilles aux legumes et au fromage
(de yack evidemment), compote de pomme a la canelle, puree maison aux
oignons et omelette au champignons. Nos papilles gustatives s'eclatent
tandis qu'Abaley semble plutot apprecier cette nourriture toute prete
lorsqu'il revient a la maison. Contrairement a la franchise mongole, la
discretion ladakhi nous empeche de deviner si VRAIMENT, il aime. Le
saura-t-on un jour?
Nous apprenons tranquillement a utiliser
les outils quotidiens de la maison. Evidemment, l'eau est a aller
chercher a la fontaine, pas loin, pour etre versee dans un grand seau
pres du poele a gaz. Un travail d'homme que Vidian prend treeees au
serieux. Mais apres attention, tout se complique (travail de femme?):
il faut prendre la cruche en plastique VERTE pour prelever de l'eau de
ce recipient...Pour faire la vaisselle, verser l'eau de la cruche VERTE
dans la cruche en plastique GRISE (plus grande). L'erreur: prendre
l'eau marmite a eau chaude (pas celle a the, hein?) avec la cruche
GRISE...Abaley n'est pas content? T'avais qu'a faire gaffe!...Quelle
chance de tomber sur une famille pour qui le respect de la purete de
l'eau est essentielle. De toutes facons, cette famille n'a, tres
objectivement, aucun defaut. Mais cela vaut bien un recit en lui-meme
et cela fera le sujet d'un prochain message bloguesque.
Nos journees s'organisent entre loooongues matinees a boire un the-pres-du-poele-a-la-maison, le cafe internet, ou un gentil petit bonhomme nous sert un bon the au lait sucre lorsque le froid se fait sentir (et lorque le temps qui passe commence a rendre son petit business assez lucratif), la Golden Bakery, qui nous offre de savoureux muffins (chacun ses caprices!), les rues de Leh, qui voient deux vagabonds errer a la recherche de chouettes lumieres, et le "Tibetan Friends Corner" ou l'"Amdo Cafe" pour engloutir un fried rice ou une crepe aux legumes..."Mais, ils sont obsedes par la bouffe ma parole"...
Et voila que des rencontres vont precipiter le rythme de nos journees.
Cherchant en vain une agence de trekking pour demander les permis
speciaux pour la vallee de la Nubra ou le Tso Moriri, trop pres de la
frontiere chinoise, nous tombons sur une blondinette bien sympa, Celine, qui
semble connaitre bien le coin. En prenant un cafe, nous apprenons
bientot qu'elle tourne en realite un documentaire sur la vie d'Olivier
Follmi (grand photographe et amoureux de l'Himalaya). Et voila
qu'Armelle est embauchee pour tourner une sequence en doublant
virtuellement Danielle Follmi!
Celine et Sonam viennent nous chercher un matin et
nous voguons bientot sur les pistes ladakhies vers le village de Stok.
Arrives au Gompa, un minuscule et adorable monastere accroche a la
montagne, le Seshu (les puristes excuseront l'orthographe),
entre danse des masques et transe des moines, commence. Le temps est
magnifique: un soleil "calorifique" et une purete de l'air cristalline.
Nous nous retrouvons malheureusement "coinces" dans l'espace reserve aux
touristes. Mais il faut avouer que le point de vue est parfait,
legerement en hauteur et le soleil de trois-quart dans le dos. Celine
tourne des images pendant que le doigt de Vidian se cramponne au
declencheur de l'appareil. Une avalanche de couleur, de contraste, de
mouvement. C'est superbe!
C'est alors que nous remarquons un trio d'enfer: deux beaux gosses, lunette de soleil et peaux tannees, et une femme dont le regard en dit long sur sa capacite a vous scanner le cerveau! Nous commencons a discuter avec l'un des deux grands gaillards sympathiques. Il revient de 21 jours d'expedition entre le lac Tso Kar et le Zanskar avec un ami et 10 porteurs. Bien sur, nous avons les yeux grands ouverts et ne perdons pas une miette de son recit. Specialiste des aspects religieux en Inde, Igor le bien nomme, nous conte les secrets de ce qui se passe devant nous. Nous decouvrons aussi que son potos n'est autre que le redacteur en chef d'un magasine de marche et de montagne. Ils restent quelques jours a Leh et nous invitent a passer a leur Guest House. Cela ne tombe pas dans l'oreil d'un sourd. En ce qui nous concerne, la faim nous tenaille trop pour continuer a observer ce ballet de couleur et nous filons avaler des nouilles chinoises avant de trouver un col propice aux images que veut tourner Celine avec Armelle...qui se retrouve en goncha traditionnelle, un foulard sur la tete, brassant la poudre en soufflant. Pendant ce temps, Vidian prend de la hauteur et gagne le col a 3802m. Le pied!
Nous voila de retour a Leh. Nous avons le grand
plaisir de preparer un bon the au lait sucre pour le retour d'Amaley un
lundi matin. Cette femme est toujours aussi belle, et d'une energie
debordante. Les retrouvailles sont vraiment sympa, avec toutes les
reminiscences des moments passes ensemble il y a 4 ans...
Un apres-midi, nous
passons par la Jigmet Guest House et retrouvons le trio...en train de
dormir dans leur sac de couchage! Un petit the s'improvise et les
discussions s'orientent rapidement vers l'aventure, la passion des
voyages, les rencontres...Jean-Marc nous gratifie pendant ce temps d'un subtil
echantillonage de musique occidentale...Qu'il est doux d'entendre
l'harmonica de Bruce Springsteen, la voix de Marianne Faithfull ou la
guitare de Jimmy Hendrix! Le rhum se mele bientot au the, et nous
resterons finalement diner! Le voyage est le catalyseur de rencontres
fantastiques, celles que vous n'auriez pas meme espere. Profiter de la
sagesse et de l'experience de grands voyageurs, connaitre les dessous
de certaines aventures mediatiques. Henriette a pu connaitre Theodore
Monnot ou meme Lanzmann. Nous repartons en silence dans la nuit, perdus
dans le tumulte des reves que ce trio nous a inspire...
Plus tard, nous retrouvons notre guide Stanzin devant un chorten connu pour etre le point de rdv des Zanskarpas. Aujourd'hui, c'est lui qui nous invite a dejeuner! Dans les bas quartiers de Colony, nous entrons dans une cour ou jouent aux cartes trois adolescents. Les "Julley" fusent encore lorsque nous decouvrons sa chambre. Une petite piece dont le sol en terre battue est recouvert d'une paillasse. Une malle de vetement, un vieux poste de radio-cassette, quelques sachets d'epices poses sur une caisse en bois, un rechaud a kerosene et quelques paires de bottes s'eparpillent dans l'espace. En ce moment, sa petite soeur et son grand frere Namgial partage sa caverne. Un cylindre ferme et perce de trous, pose sur le rechaud, lui permet de se chauffer. Seule une petite fenetre eclaire son antre. Il est heureux, Stanzin. On discute, on rigole (il adore raconter des histoires tres droles), et on se cuisine un bon fried rice avec des lentilles. Dans le meme temps, chacun garde une oreille sur la radio qui lance les resultats du match de cricket entre l'Inde et le Sri Lanka. Un moment simple et sympathique, comme on les aime...
Il est 9h lorsque nous retrouvons le trio sympathique a la Jigmet Guest House. Celine est deja la et nous avalons un cafe. Nous voila dans la Tata Sumo (4x4 indien) de Tundup en direction du gompa de Matho. Un autre "seshu" se joue dans ce monastere, qui a tout a envier du charme de celui de Stok. Chacun se met en place et bientot, c'est une foule d'hommes, de vieillards, de femmes et d'enfants qui se pressent dans une cohue indescriptible.
Alors que les
danses des masques evoluent sous nos yeux, des averses de batons
s'abattent regulierement sur les pretendus agitateurs de la foule. La
securite est assuree par les militaires indiens, et malgre les rires
des locaux, nous sentons une petite tension. Igor continue a expliquer
a Vidian le developpement du bouddhisme en Inde et au Ladakh lorsque
les oracles debarquent en courant...
Deux moines en transe, torse nu,
crient et levent les bras. Ils reviennent bientot en costume, un sabre a la
main. Une multitude de kataks, echarpes de soies, leur ceinture bientot
le torse. Pendant presque deux heures, ils evoluent devant nous, courant sur les
toits, tentant de se couper la langue ou le bras, en poussant des cris
et en dansant. Ils sont possedes par une divinite et lancent des
paroles incomprehensibles. Soudain, l'un deux court dans notre
direction, grimpe les marches a une vitesse vertigineuse puis marche
tranquillement sur le parapet. Derriere lui, 20m de vide. Nous ne
sommes qu'a quelques metres de cet homme qui halete, les yeux dans le
ciel. Nous sommes a genoux et le voila qui s'arrete devant nous. Il est
la et absent a la fois. Chacun stoppe sa respiration. Un seul souffle suffirait a le precipiter dans le vide. Il est epuise et
recule maintenant doucement, placant chaque pied l'un derriere l'autre sur le
muret de terre. Son sabre nous frole. Quelque chose, ou quelqu'un, le guide. Son
funambulisme nous tient en haleine. Puis soudain, il lance un grand cri, se
ramasse sur lui meme, s'elance en courant puis saute sur une petite plateforme.
Chacun prend une longue inspiration, comme apres une longue apnee. L'oracle
continue a danser en bas puis dans un grand rale, tombe en arriere. Les moines
le receptionnent dans leur bras et emmene ce corps inerte d'une raideur cadaverique
sur leurs epaules. C'est fini. Chacun reste coi. Chacun interroge du regard son
voisin. Juste incroyable. Un evenement d'une force et d'une beaute
extraordinaire. Nous marchons comme des somnambules dans le dedale des marches
du monastere et regagnons la voiture sous un lever de lune fantastique. La
soiree se terminera autour d'un bon cognac francais (merci la famille) et les
mets delicats d'un restaurant cashmiri. Henriette, Igor et Jean-Marc repartent
demain vers de nouvelles aventures indiennes, dans la moiteur de la province du
Kerala. Nous nous quittons dans l'obscurite. Bonne route!
Amaley a repris la maison en main. Et c'est par de delicieux et gargantuesques petit-dejeuners que nous commencons chaque journee. Nous fomentons actuellement de nouveaux plans d'escapade glaciale en scrutant les cartes topographiques de la region. Nous partons demain vers des monasteres recules et les petits villages du coin, en esperant croiser la route de loups ou leopards des neiges qui peuplent la region. Sept jours de marche, pour se remettre en route.
Glacialement et chaleureusement!
Vidian et Armelle
Superbes ces rencontres simples mais tellement agréables. Les voyages sont vraiment fantastiques pour rencontrer des personnes hors du communs et intéressantes. Quel bonheur !
A bientôt.
Stéphane